La création du Centre d’arbitrage d’Istanbul (le Centre), motivée par l’ambition du gouvernement turc de faire d’Istanbul un centre financier mondial, présente un argument convaincant pour un examen juridique. Ce billet de blog cherche à démêler le réseau complexe de complexités juridiques entourant la fondation statutaire, la structure organisationnelle et le cadre financier du Centre, ainsi que l’attribution potentielle de sa conduite à l’État en vertu du droit international. En examinant la double nature du Centre, à cheval sur les domaines du droit public et du droit privé, cet article vise à mettre en lumière les questions qui en découlent en matière de responsabilité des États et de conflits d’intérêts dans l’arbitrage international. En fin de compte, le message sert de mise en garde pour les États parties et les investisseurs étrangers qui naviguent sur le terrain de l’arbitrage au sein d’institutions de double nature similaire.
I. Historique législatif, structure juridique et financement du Centre
Le Centre d’arbitrage d’Istanbul, un ajout récent aux institutions d’arbitrage existantes en Turquie, a commencé ses opérations en enregistrant son premier dossier en 2016.
La création du Centre s’aligne sur l’objectif du gouvernement turc de positionner Istanbul comme centre financier mondial. L’idée remonte à une résolution de l’Organisation de planification de l’État de Turquie. en 2009, en donnant la priorité à la création d’un centre d’arbitrage indépendant. Conformément à cette orientation stratégique, le Parlement turc a promulgué la loi sur le centre d’arbitrage d’Istanbul. (la Loi) pour établir le Centre en tant qu’entité juridique soumise au droit privé. Elle opère dans un cadre juridique unique et n’adhère pas aux formes juridiques conventionnelles comme les ONG ou les entreprises.
La loi définit la structure organisationnelle du Centre, y compris une assemblée générale chargée d’élire les membres du conseil exécutif, du conseil consultatif et des auditeurs. L’assemblée générale est composée de membres nommés par diverses agences d’État indépendantes et organismes publics, dont le ministère de la Justice du pays. Le Cabinet du Premier ministre a financé les opérations du Centre pendant les deux premières années (du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016), dans l’espoir de générer des revenus grâce aux services de règlement des différends par la suite. S’il existe un déficit, certains organismes de l’État et organismes publics représentés à l’assemblée générale doivent contribuer proportionnellement à l’éliminer.
Bien qu’il ait été lancé et financé par le secteur public, le Centre a réalisé des progrès significatifs dans la promotion de l’arbitrage auprès de ses utilisateurs potentiels, en particulier les praticiens du droit. Bien qu’il soit considéré comme un forum non exclusif, le Centre a également été inclus dans des traités bilatéraux d’investissement (TBI), tels que le TBI renouvelé entre la Turquie et l’Ukraine. signé le 9 octobre 2017. L’article 10(d) du TBI mentionne le Centre comme l’une des options de résolution des litiges par arbitrage, sous réserve de l’accord des parties. On peut soutenir que le soutien du public derrière le Centre a pu contribuer à ces réalisations.
II. Énigmes potentielles entre le Centre et le droit international
On peut affirmer que certains de facto et de jure Certains aspects du Centre, tels qu’ils sont décrits dans leur contexte historique, créent une complexité factuelle au regard du droit international. Le Centre existe dans une zone grise où des éléments de droit public et privé peuvent être identifiés. Même si la loi définit le Centre comme un sujet de droit privé, son administration et son budget semblent avoir des liens avec le public. De plus, on pourrait affirmer que le Centre bénéficie du soutien du public. Il existe donc un problème juridique quant à savoir si le Centre peut exercer des éléments de l’autorité gouvernementale.
Bien que ce dilemme soit hypothétique, sa résolution pourrait avoir une importance dans le domaine de l’arbitrage international selon au moins deux perspectives. La première question qui se pose est de savoir si le comportement du Centre peut conduire à une responsabilité internationale de la Turquie selon les règles d’attribution. La deuxième question est de savoir si le caractère public du Centre peut donner lieu à des allégations de conflits d’intérêts, en particulier dans les conflits dans lesquels la Turquie est partie.
III. Un examen selon les règles d’attribution de conduite
En ce qui concerne la première question, des orientations peuvent être trouvées dans le projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (projet d’articles) adopté par la Commission du droit international des Nations Unies en 2001. L’article 4 du projet d’articles traite du comportement des organes de l’État et stipule que :
…la conduite de tout organe de l’État est considérée comme un acte de cet État en vertu du droit international, que l’organe exerce des fonctions législatives, exécutives, judiciaires ou toute autre fonction… Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut conformément au droit interne. de l’État.
L’article 4 n’est pas applicable au cas présent puisque la loi décrit le Centre comme une personne morale indépendante à caractère privé et que c’est le droit interne qui détermine le statut d’organe.
Cependant, la règle d’attribution suivante, l’article 5 du projet d’articles, fournit une base pour considérer le comportement d’une entité qui n’est pas un organe d’État au sens de l’article 4 comme un acte de l’État au regard du droit international. L’article 5 précise :
Le comportement d’une personne ou d’une entité qui n’est pas un organe de l’État au sens de l’article 4 mais qui est habilitée par le droit de cet État à exercer des éléments de l’autorité gouvernementale est considéré comme un acte de l’État en vertu du droit international, à condition que la personne ou l’entité agit en cette qualité dans le cas particulier.
Selon les commentaires sur les projets d’articles, aux fins de l’article 5, la qualification d’une entité comme publique ou privée en vertu du droit national n’est pas déterminante. Ce qui compte est de savoir si l’entité est habilitée à exercer des éléments spécifiques de l’autorité gouvernementale. L’article 5 ne définit pas les éléments de l’autorité gouvernementale. En outre, il apparaît que cette règle a rarement été appliquée en ce qui concerne le comportement d’un tribunal arbitral à caractère public, mais qu’elle a principalement été utilisée dans le contexte de paraétatique entités.
Le problème semble cependant plus apparent que réel. Si une partie étrangère n’est pas satisfaite du résultat d’une procédure menée sous les auspices d’une institution d’arbitrage, elle peut généralement recourir aux tribunaux locaux pour contester la sentence si elle estime que la procédure a été entachée d’irrégularités causées par l’institution d’arbitrage. Si la violation n’est pas réparée par les tribunaux locaux, l’entité étrangère peut potentiellement invoquer l’article 4 (plutôt que l’article 5) pour attribuer le comportement des tribunaux locaux à l’État, à condition qu’elle ait des motifs de recourir devant un tribunal international. De plus, en raison de la nature consensuelle de l’arbitrage, il est difficile d’envisager un scénario dans lequel le comportement d’une institution d’arbitrage pourrait porter atteinte aux droits des parties. On pourrait faire valoir que seules une négligence grave ou des actes délibérés de la part de l’institution d’arbitrage elle-même, privant manifestement une partie étrangère de ses droits en violation des principes d’une procédure régulière et d’un procès équitable, pourraient déclencher l’application de l’article 5 devant un tribunal international. Ce serait un motif pour contester la sentence devant les tribunaux nationaux en vertu de la plupart des lois sur l’arbitrage. Il est également important de faire la différence entre le comportement des arbitres et celui de l’institution d’arbitrage elle-même, car il est peu probable que le premier soit imputable à un État.
IV. Conflits d’intérêts dans les affaires impliquant l’État ?
La deuxième question concernant les conflits d’intérêts est double. Premièrement, on peut affirmer que si un différend administré par le Centre implique la Turquie en tant que partie, organe d’État ou entité appartenant à l’État, cela pourrait donner lieu à des conflits d’intérêts en raison du caractère public perçu du Centre. Cela peut être particulièrement pertinent si le Centre a nommé un ou plusieurs arbitres ou est autrement impliqué dans la procédure en vertu de ses règles.
Deuxièmement, des doutes quant à l’indépendance d’un arbitre affilié au Centre peuvent surgir dans un différend entendu en dehors du Centre mais impliquant la Turquie en tant que partie, organe d’État ou entité appartenant à l’État. Cela peut être particulièrement pertinent si une entité à caractère public nomme la personne affiliée comme arbitre.
V. Remarques finales
Il semble que ces scénarios, en eux-mêmes, ne soulèvent pas automatiquement des questions de conflits d’intérêts ou de responsabilité de l’État. Un examen détaillé des faits entourant chaque cas est essentiel pour une discussion et une analyse plus approfondies.
Cela dit, tant les États parties que les investisseurs étrangers, en tant que parties à un différend investisseur-État devant une institution d’arbitrage d’un certain niveau de caractère public, devraient être conscients des implications potentielles de cette situation. Pour les États, on peut soutenir qu’un État qui obtient une sentence favorable sur le fond peut être confronté au risque d’avoir un deuxième différend en raison d’irrégularités involontaires liées à l’institut d’arbitrage ou aux arbitres.
D’un autre côté, les investisseurs étrangers peuvent être confrontés à des procédures d’arbitrage qui ne sont pas totalement exemptes de l’influence gouvernementale, même s’ils choisissent l’arbitrage dans le seul but d’accéder à une décision neutre et impartiale.