Bytedance contre Commission – Blog officiel de l’UNIO

Résumés des arrêts rendus en collaboration avec les juges et référendaires portugais du Tribunal (Maria José Costeira, Ricardo Silva Passos et Esperança Mealha)

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Arrêt du Tribunal (huitième chambre élargie) du 17 juillet 2024, Affaire T-1077/23 Bytedance/Commission

Services numériques – Règlement (UE) 2022/1925 – Désignation des contrôleurs d’accès – Service de réseau social en ligne – Exigences – Présomptions – Réfutation des présomptions – Droits de la défense – Égalité de traitement.

Faits

Le Tribunal (« GC ») a interprété pour la première fois la loi sur les marchés numériques[1] (« DMA »), rejetant le recours en annulation intenté par le groupe Bytedance (ci-après ensemble, « Bytedance ») contre la décision de la Commission européenne de désigner Bytedance et les entreprises directement ou indirectement contrôlées par elle, comme contrôleurs au sein de la signification du DMA.

Le DMA vise à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en établissant des règles garantissant la contestabilité et l’équité des marchés numériques. Selon le DMA, la Commission désigne une entreprise comme « gatekeeper » lorsque certains critères qualitatifs cumulatifs sont remplis, à savoir : (i) elle a un poids significatif sur le marché intérieur ; (ii) il fournit un service de plateforme de base (« CPS ») qui constitue une passerelle importante permettant aux utilisateurs professionnels d’atteindre les utilisateurs finaux ; et (iii) jouit d’une position solide et durable dans ses activités, ou jouira selon toute vraisemblance d’une telle position dans un avenir proche.

En outre, une entreprise est également présumée être un contrôleur d’accès lorsque certains seuils quantitatifs établis en fonction de son chiffre d’affaires, de sa valeur marchande et du nombre d’utilisateurs sont atteints. Toutefois, si une entreprise respecte ces seuils quantitatifs, elle peut toujours contester sa désignation de contrôleur d’accès en présentant des arguments suffisamment étayés pour démontrer que, exceptionnellement, elle ne remplit pas les critères qualitatifs cumulatifs requis pour être désignée comme contrôleur d’accès.

Dans l’affaire du litige Bytedance, une société fondée en Chine en 2012, qui exploite la plateforme numérique TikTok lancée dans l’Union européenne en août 2018 et qui permet à ses utilisateurs de rechercher, regarder et diffuser des vidéos, ainsi que d’interagir, communiquer et partager du contenu avec d’autres utilisateurs.

En application du DMA, la Commission a informé Bytedance de son avis préliminaire selon lequel les critères qualitatifs et les seuils quantitatifs étaient remplis et, à ce titre, Bytedance devait être désignée comme contrôleur d’accès. En réponse, Bytedance a fait valoir que même si elle satisfaisait à tous les seuils quantitatifs basés sur le chiffre d’affaires, la valeur marchande et le nombre d’utilisateurs, elle ne remplissait pas les critères qualitatifs pour être désignée comme contrôleur d’accès, demandant à la Commission d’ouvrir une enquête de marché en vertu de l’article 17. du DMA pour obtenir des preuves supplémentaires.

Le 5 septembre 2023, la Commission a adopté une décision finale (« la décision attaquée ») concluant que Bytedance n’avait pas suffisamment prouvé qu’elle ne satisfaisait pas aux critères qualitatifs et rejetant la demande d’ouverture d’une enquête de marché, désignant ainsi Bytedance comme « gardien » au sein du marché. la signification du DMA.

décision

La requérante, Bytedance, a introduit un recours en annulation au titre de l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») contre la décision attaquée. Dans ce recours, le requérant soulevait un premier moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphes 1 et 5 du DMA, et un deuxième moyen tiré d’une violation des droits de la défense.

Dans son premier plaidoyerBytedance a tout d’abord fait valoir que la Commission avait appliqué un critère juridique incorrect lors de l’évaluation des arguments présentés pour réfuter les présomptions énoncées à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.

La requérante reproche à la Commission d’avoir rejeté certains arguments et éléments de preuve « qualitatifs ». En outre, Bytedance a affirmé que la Commission imposait un niveau de preuve trop élevé, exigeant des preuves « convaincantes », arguant que l’existence de « doutes » ou de preuves « prima facie » quant à savoir si l’entreprise concernée satisfaisait aux exigences de l’article 3, paragraphe 2, du DMA devrait suffire à ouvrir une enquête de marché.

Concernant l’utilisation de « preuves qualitatives » pour réfuter les présomptions posées à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, le Tribunal a relevé qu’il est difficile, voire impossible, de faire la distinction entre des arguments ou des preuves « quantitatifs » et « qualitatifs ». Un argument de nature « qualitative » est souvent étayé par des chiffres. Le Tribunal a ainsi conclu que l’article 3, paragraphe 5, du DMA, doit être interprété en ce sens qu’il permet à l’entreprise concernée de présenter, afin de renverser les présomptions posées à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, des arguments et des preuves, qu’ils soient ou non elles sont exprimées en chiffres, à condition qu’elles se rapportent directement à une ou plusieurs de ces présomptions.

Concernant le niveau de preuve requis pour remettre en cause les présomptions posées à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, le Tribunal a jugé que l’article 3, paragraphe 5, du DMA imposait un niveau de preuve élevé. En conséquence, Bytedance aurait dû être capable de démontrer « avec un degré élevé de plausibilité » que les présomptions posées à l’article 3(2) du DMA étaient remises en cause.

Le GC a donc conclu que de simples « doutes » ou preuves « prima facie », comme le propose Bytedance, constituaient une norme insuffisante et inférieure à celle exigée par le DMA et a rejeté cet argument comme étant infondé.

Deuxièmement, la société a fait valoir que la Commission avait violé l’article 3, paragraphes 1 et 5, du DMA en rejetant les arguments présentés pour réfuter la présomption selon laquelle elle remplissait les critères qualitatifs pour être désignée comme contrôleur d’accès.

Concernant les premiers critères qualitatifs, Bytedance a fait valoir qu’elle n’avait pas d’impact significatif sur le marché intérieur puisque son chiffre d’affaires dans l’UE était faible. Le Tribunal a considéré que la Commission avait commis une erreur en ne considérant pas le faible chiffre d’affaires comme un facteur d’analyse pertinent. Néanmoins, le Tribunal a conclu que Bytedance n’avait pas suffisamment étayé ses arguments pour réfuter la présomption selon laquelle ses opérations avaient un impact significatif sur le marché intérieur.

Concernant le deuxième critère qualitatif, Bytedance a affirmé que TikTok n’était pas une « passerelle importante » au sens du DMA, arguant, en substance, que TikTok n’était pas un écosystème et que son ampleur était limitée par rapport aux réseaux sociaux concurrents. Le Tribunal a jugé que la Commission avait raison de conclure que les arguments avancés par Bytedance étaient insuffisants et que ni la taille des concurrents ni l’absence d’écosystème ne sont des critères déterminants pour apprécier l’existence d’une « porte d’entrée importante ».

Enfin, concernant le troisième critère qualitatif, Bytedance a affirmé ne pas bénéficier « d’une position solide et durable sur le marché », car ses concurrents, à savoir Google et Facebook, ont contesté avec succès sa position sur le marché, lui faisant perdre des annonceurs et des utilisateurs.

Le Tribunal a jugé que le fait que la position de Bytedance sur le marché soit contestée par d’autres grandes plateformes n’empêche pas la Commission de conclure qu’elle jouit d’une « position bien ancrée et durable sur le marché ». Le GC a souligné que les preuves démontraient que TikTok avait connu une croissance rapide depuis son entrée sur le marché européen, atteignant rapidement un nombre élevé d’utilisateurs. Le Tribunal a ainsi rejeté cet argument comme étant non fondé, estimant que Bytedance n’avait pas réussi à renverser la présomption concernant les critères qualitatifs pour être désigné comme « gatekeeper ».

Sur le deuxième moyenBytedance a fait valoir que la Commission avait violé les droits de la défense, à savoir le droit d’être entendu, tels que consacrés à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »). Selon Bytedance, la Commission s’est fondée sur des éléments de fait et de droit sur lesquels elle n’avait pas eu la possibilité de présenter ses observations au cours de la procédure administrative.

Le GC a reconnu que Bytedance n’avait pas eu la possibilité de faire valoir son point de vue, sur le fait de savoir si elle disposait ou non de son propre écosystème et sur l’intensité de l’utilisation de TikTok. En conséquence, le Tribunal a constaté une violation du droit d’être entendu.

Néanmoins, le Tribunal a rappelé que, selon sa jurisprudence constante, une violation du droit d’être entendu n’entraîne pas automatiquement l’annulation de l’acte attaqué, étant nécessaire pour le requérant de démontrer que la décision aurait été différente dans le cas absence d’irrégularité de procédure. Le Tribunal a conclu que, en l’espèce, Bytedance n’avait pas démontré qu’en l’absence d’irrégularité, il ne pouvait être totalement exclu que la décision de la Commission aurait été différente et a donc rejeté le deuxième moyen comme non fondé.

À la lumière de ces constatations, le Tribunal a ainsi rejeté tous les moyens en droit soulevée par le demandeur rejeter l’appel dans son intégralité et confirmant la décision attaquée désignant Bytedance comme gatekeeper au sens du DMA.


[1] Règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 concernant des marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques).